La rue de Lappe regorge de surprise pour nous. Depuis que nous y avons posé nos valises, en novembre dernier, nous faisons le plein de belles rencontres. À commencer par celle de notre voisin Mimo, un maître artisan bottier d’origine italienne. Dès notre arrivée, Mimo est venu échanger avec Baptiste, le cofondateur et designer maroquinier de Féoni, il était intrigué par notre atelier. Grâce à ses confidences, on ressuscite dans cet article une époque, des illustres figures du savoir-faire français des années 30 aux années 80. Nous faisons également des liens entre nos métiers. Baptiste a été formé au design de sac et de chaussure pendant son Bachelor design accessoire à l’IFM (Institut Français de la Mode). Il a créé sa propre collection de chaussures pour femme lorsqu’il a remporté le concours BATA en 2012. Autant de matières à partager entre passionnés.
Entre son premier emploi avec Pascal Capobianco dans les années 70 et son dernier poste pour la maison de chaussure Pompéi, Mimo détient plus de trente ans de savoir-faire. Il a fabriqué des chaussures pour les plus grands films Français, Italiens et hollywoodiens. Il revient pour nous sur son parcours.
Assis à notre établi, Mimo est constellé de souliers qu’il est venu fièrement nous présenter. Certaines chaussures sont des répliques, comme la miniature d’une chaussure à semelle compensée en cuir doré qu’il tient dans ses mains. « j’ai reproduit celle portée par Liz Taylor, mais elle faisait du 39. » Lance-t-il avec son charmant accent italien.
Né en 1946 à Lecce dans Les Pouilles, Mimo a vécu presque toute sa vie en France. Il est le fils d’un greffeur de vigne et d’une mère au foyer. Il n’a pas suivi le métier de son père. Dès l’âge de 11 ans, il préfère occuper son temps dans la fabrique à chaussures prêt de chez lui. « Mais que voulez qu’on donne à un enfant de 11 ans dans une usine ? Rien du tout ! Je faisais qu’arracher les clous, passer de la colle, je rangeais les formes ». Il arrive en France en 1964 où il a d’abord été menuisier. Après la fermeture de son usine, Mimo a dû chercher du travail pour « manger » comme il dit. « Moi j’ai pas été à l’école. L’école de la chaussure, je l’ai pas fait. »
Et pourtant de rencontre en rencontre, il trouve un premier poste chez un ancien bottier « Duret », à Belleville. Par un heureux hasard, il entre ensuite dans l’atelier de chaussure de Capobianco situé Faubourg Saint-Honoré.
« Tous les vendredis j’allais livrer soit Carvil, soit Duret. Duret, c’était vraiment à côté de Capobianco, quand je finissais hop, j’allais dire bonjour en face et tout, et un jour, il m’a demandé pourquoi je ne venais pas bosser chez lui. J’ai dit oui, si vous voulez ». CAPOBIANCO, C’EST LUI QUI M’A TOUT APPRIS
L’atelier de Capobianco est à cette époque le bottier des artistes de la comédie française ainsi qu’un conseiller technique pour le ministère de l’éducation. Talentueux et prestigieux, Pascal Marius Capobianco compte parmi les fondateurs de l’après-guerre de l’entente professionnelle de la Haute botterie avec Sarkis Der Balian, Argence, Joseph Casale et Maniatis. Son travail inspire les jeunes créateurs en devenir comme Christian Louboutin qui au début des années 80 ne s’intéressait pas à la mode. Il rêvait de fabriquer des chaussures comme celles de Capobianco. C’était le bottier de choix, pour les chanteurs, les acteurs et autres protagonistes, de la jet-set internationale comme Jackie Kennedy ou la femme d’Aga Khan.
C’est ainsi que Mimo a eu la chance de fabriquer des chaussures pour les plus grands artistes que nous connaissons.Il a débuté à la réparation des chaussures. Comme tout artisan il rêve d’aller « aux pièces », comme tout maroquinier rêve d’aller « à la Table ». Travailler « aux pièces » c’est être payé à la paire de chaussures résume Mimo. Travailler à la pièce, c’est aussi concevoir de A à Z un article par soi-même, ce qui nécessite un vrai savoir-faire.
Mimo ne compte pas ses heures, « j’ai déjà fini à 3h du matin à cause d’une commande pour le théâtre ». Finir tard ne l’a jamais dérangé, il adore travailler pour le cinéma et le théâtre « ce qu’il y a de bien c’est que c’est jamais le même modèle, jamais la même époque. Donc c’était plaisant, contrairement à la chaîne ou c’était toujours le même modèle ».
Pour les commandes des tournages, ce sont les costumiers qui font les premiers dessins. « Ils viennent avec leurs cahiers et disent je veux ça, ça… » Les bottiers eux, comptent le nombre de chaussures souhaitées en fonction des différentes époques souhaitées, dessinent les modèles, coupent, montent les modèles puis ils font venir les comédiens. «Pour vérifier si les chaussures étaient bien faites sur-mesure sinon on modifiait la forme ».
Aujourd’hui, le théâtre français passe beaucoup moins de commandes spéciales « peut être encore auprès de Massaro à la place Vendôme » mais Mimo est sûr de lui, cette période est révolue. Capobianco était le spécialiste du sur-mesure à l’époque et prenait des grosses commandes pour le théâtre ou pour de riches particuliers. « Elles étaient pas données, des chaussures toutes faites à la main ! ».
PASCAL CAPOBIANCO
Pascal Marius Capobancio est aujourd’hui un nom oublié. Né en 1902 à Marseille, Pascal Capobianco a appris son métier avec un bottier franco-italien, Nicolas Greco qui travaillait rue des capucines entre la place Opéra et la place de la Madeleine à Paris. Il ouvre son propre atelier en 1930, au 32 rue du faubourg saint Honoré. Il a travaillé quelques années pour la créatrice Madeleine Vionnet. Capobianco a été le fournisseur attitré de la comédie française et des ballets. Ce qui lui a ouvert un carnet d’adresse dans le milieu du cinéma et des célébrités de son époque. Après-guerre, il fait partie des cofondateurs de l’Entente Professionnelle de la Haute Botterie.
Pour en savoir plus : TheHistorialist, le magazine l’Officiel de la Mode, blog de Alexis Boniface, qui partage sa passion pour les souliers et répertorie tous les anciens artisans de la chaussure.
Capobianco lui a tout apprit en lui transmettant son savoir-être, son exigence. Son maître-mot : toujours satisfaire le client, peu importe si la faute vient des artisans ou non, comme le relate Mimo dans cette anecdote: « Ungaro le couturier, il était juste en face du magasin. Il s’était fait faire des chaussures en croco marron bordeaux [chez nous]. Et à force de tourner comme un lion en cage dans sa boutique, et que les écailles de croco ça travaille, y’en a une qui a pété. On a dû changer tout le « peigne »* parce qu’une paire ça valait entre 18 et 20 000 franc dans les années 70. On a tout démonté pour refaire le peigne ».
«J’AI TRAVAILLÉ LE CROCO, LE SERPENT, LE LÉZARD, LA TORTUE, L’AUTRUCHE, L’ÉLÉPHANT… »
Les techniques de fabrication sont différentes pour les peaux exotiques. Ceci étant du à la fragilité du matériau. Pour contourner cette contrainte Mimo renforçait le serpent avec une doublure, avant de monter la chaussure. Les étapes de montages sont similaires à la maroquinerie.Il collait le cuir puis le piquait pour éviter que la cuir ne se casse. “Ensuite la chaussure était très solide“. Dans ses souvenirs, la peau exotique est un sujet à controverse. Pour cette raison, il n’était pas facile de s’en procurer auprès de revendeurs de peaux. Quelques riches personnalités ont passé des commandes de chaussures en peaux exotiques. Le Roi du Maroc, de l’époque, avait commandé 80 paires de chaussures « parce qu’il voulait des chaussures faites avec toutes ces peaux, de tous les reptiles. » Une paire de chaussures en peaux exotiques vaut très chère « la moins chère était à 500 000 francs. » Pour le mariage de sa fille « il nous a demandé deux paires faites en or, en strass et en rubis. »
Il rebondit sur une autre commande passée par un Prince d’Afrique, qui avait voulu 40 paires d’escarpins. Une commande spéciale réalisée dans un délai record : environ 5 jours pour faire 40 paires de chaussures « Surtout que j’étais tout seul. Il fallait que je fasse 10 paires de formes à chaque fois, faire les talons en bois, les envelopper, les monter, mettre la semelle et les finir. J’avais plus la notion du temps, parce quand je donne une parole je la maintiens. »
Récemment Mimo a offert à Baptiste un tranchet, un couteau à parer et un tire-point (une pièce pour l’affuter).
Le bottier et le maroquinier ont des outils en commun comme le tranchet qui sert à couper le cuir . Pour travailler la finition des bords en cuir, le maroquinier utilise dans son processus une machine le “fer à chaud”. Cette machine aide le cuir à cautériser avant la teinture des bords. Mimo lui préfère utiliser les outils traditionnels comme la lisse pour travailler le cuir. Il n’a jamais utiliser de machines et fabrique lui-même sa lampe à alcool en sculptant du liège « Je chauffais la mienne avec une petite lampe à alcool, je passe une petite flamme et vous chauffe la lisse, pile poil »
Mimo n’a jamais eu besoin d’acheter un outil « Tous les outils que j’ai, c’est mes patrons qui me les ont donnés. Quand j’avais besoin d’une lisse, je descendais au niveau de la boutique demander à monsieur Capo et il me la donnait. »
Mimo en vrai passionné, nous explique en détails la fabrication des chaussures qu’il nous a apportées. Le premier prototype féminin est une copie d’un modèle qu’il a fait pour Monica Bellucci. Un magnifique escarpin rouge flamme à talon aiguille. L’idée de reproduire ce soulier lui est venu lorsqu’il fabriquait la paire de chaussures originale « pointure 41 » pour l’actrice. « Je me suis muni de bois, j’en ai fait une forme puis le talon ». Il décrit ensuite le modèle se tenant près de l’escarpin rouge. Une chaussure de golf marron en chevreau « j’ai pris un morceau de bois ramassé sur les chantiers, j’ai fait la forme puis le patronage, j’ai fait la tige, je l’ai piqué à la machine et je l’ai monté. » Cette grande taille est très pratique pour apprécier la beauté du travail de Mimo. Il continue ses explications :
« Le talon est fait feuille par feuille, je ponce le tout à la main, j’ai rajouté du caoutchouc au niveau de la semelle. La première de montage est à l’intérieure de la chaussure, quand on met le contrefort et le bout-dur, c’est à ce moment-là qu’on commence à monter et une fois fini on laisse sécher. »
C’est ce que les artisans bottiers appellent un montage Goodyear, où la première semelle est cousue trépointe à l’intérieure. « La deuxième semelle est collé. Il m’a fallu15 jours, la forme de la chaussure c’est le plus long et dur à travailler car sans forme, il n’y a pas de chaussure ».
« ÇA, C’EST LA CHAUSSURE DE CLÉOPÂTRE »
Mimo pointe du doigt la chaussure à plateforme en cuir doré « c’est un double, une miniature de celle qu’a portée Liz Taylor à l’époque, en pointure 39. »
C’est ainsi qu’il nous introduit son deuxième et dernier métier pour l’atelier Pompéi. Cette maison est fondée en 1932 à Rome, par les cousins Ernesto et Luigi Pompéi. Ils décident d’ouvrir une fabrique de chaussures et deviennent les fournisseurs des théâtres de la capitale. Grâce au film Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, 1963, ils se font un nom à Hollywood. Le film Cléopâtre remporte l’Oscar des meilleurs costumes. L’entreprise passe en 1974 aux mains d’une nouvelle génération de Pompéi, les cousins Carlo et Laura, respectivement le fils et la fille de Ernesto et de Luigi. C’est en 1975 que Pompéi ouvre une antenne à Paris.
Pompéi a ainsi collaboré avec de nombreuses productions de films comme Astérix et Obélix – Mission Cléopâtre, « Nous avons fait des chaussures pour Monica Bellucci. Les chaussures blanches en lièges dessinées à la Romaine et des chaussures Egyptiennes montantes en liège avec des bordures dorées, montées comme celle de Ferragamo. Il fallait faire le liège, monter la chaussure coller la chaussure, encoller. Les trois paires pour ce film m’a mis plus d’une semaine ». Histoire après histoire, Mimo nous conte certaines anecdotes dont une paire fabriquée sur-mesure pour Richard Anconina (mais si vous savez Eddie dans la Vérité si je mens !) modifiée pour l’occasion pour une surprenante raison « comme il n’est pas dans les tailles de 1m80, j’ai réhaussé ses chaussures de l’intérieur. Il faut rééquilibrer en ajoutant un peu à l’avant et ajouter un peu ce qui manque à l’arrière. »
Lorsque qu’on lui demande quelle est la paire de chaussures dont il est le plus fier, il répond « Les chaussures de Kate Winslet pour le Titanic quand elle menace de se jeter du bateau. Celles-ci, elles sont faites en crêpe de chine rouge ». En somme, les chaussures dont il est le plus fier proviennent de films car « les films ça reste et ça me remonte des souvenirs ». Il garde également un sentiment de fierté. La maison Pompéi, réputée pour ses magnifiques costumes et chaussures d’époque a remporté de nombreuses récompenses « j’ai déjà pris un oscar dans les mains », notamment la costumière italienne pour le film Cyrano de Bergerac avec Depardieu qui avait ramené son oscar au travail pour en faire profiter toute l’équipe.
Mimo a souvent travaillé seul dans ses entreprises. Néanmoins, il a eu quelques apprentis, il se souvient avec nostalgie de l’un d’entre eux, un jeune homme “professeur des lycées” d’origine Mauricienne. Ce qu’avait apprécié Mimo chez lui, c’est la détermination qu’il avait mis dans sa reconversion professionnelle « il était très motivé, il pouvait faire une botte dans la journée dès ses débuts d’apprentissage. Ce jour-là, je me suis dit qu’il était à point ».
En relation constante avec sa dernière entreprise Pompéi, Mimo donne aujourd’hui de son temps à la maison mère de Pompéi en Italie. « Quand j’ai eu mes 60 ans, mon patron m’a proposé de travailler entre 10 et 15 jours en Italie. Il y en a là-bas déjà qui le font. J’ai dit oui, je n’ai jamais manqué une année » Jusqu’à présent, Mimo retournait travaillé en Italie pour Pompei, cette année il a décidé de rester auprès de sa famille. « Sinon on n’a plus de vie ensemble, on prend de l’âge. Moi aussi, je vais avoir 72 ans vous savez ! »
Article co-écrit par Flore et Chantal
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