L’évolution de la maroquinerie artisanale

Du travail du maroquin à la maroquinerie artisanale

L’activité de maroquinerie, dans le sens qu’on lui attribue aujourd’hui, à savoir la fabrication et la vente de sacs femme et d’articles divers en cuir, est apparue tardivement. Cette définition date de la fin du XIXe siècle.

Auparavant, ce mot désignait, au sens large, le travail du maroquin « une peau de chèvre ou de bouc passée à la chaux, coudrée, mise en couleur et tirée à la pommelle. »1. On utilisait ce cuir dans différents corps de métiers. 

Prenons le cas du travail de recensement des premiers métiers de la maroquinerie artisanale fait en 1723 par Jacques Savary des Bruslons. Il nous  montre que la place de ce cuir est prépondérante. « Les tapissiers, cordonniers, ceinturonniers, selliers, gainiers, coffretiers font usage de maroquin, de tous les cuirs qu’ils emploient, c’est le plus estimé, le plus cher et le plus beau. »2

De même, on découvre que cette activité est répartie en plusieurs corps de métiers, organisés en corporations distinctes. Nous considérons que les premiers « fabricants de sacs en cuir » sont les corporations de boursiers (métier sous l’autorité du maître des sueurs ou des cordonniers) et d’Aumonières de sarrazinoises. Le garde de la prévôté de Paris a enregistré leurs statuts en 1291 et 1299.

De même, on découvre que cette activité est répartie en plusieurs corps de métiers, organisés en corporations distinctes. Considérons que les premiers « fabricants de sacs » soient les corporations de boursiers (métier sous l’autorité du maître des sueurs ou des cordonniers) et d’Aumonières de sarrazinoises. Le garde de la prévôté de Paris a enregistré leurs statuts en 1291 et 1299.

Les premiers sacs

Les boursiers réalisaient ces premières bourses et gibecières (sac de chasse) principalement en cuir. Elles s’adressaient essentiellement aux hommes. Les femmes portaient des aumônières (cf. figure 1). On fabriquait ces petits sacs femme, plus élégants et précieux, en soie comme en cordouan.

Au XVIe siècle, l’escarcelle remplace les aumônières (cf. figure 2). Cette bourse est souvent en étoffe brodée d’or avec un fermoir ciselé en métal. En outre, elle s’adaptait à la ceinture au Au XVIe siècle, l’escarcelle remplace les aumônières (cf. figure 2). Cette bourse est souvent en étoffe brodée d’or avec un fermoir ciselé en métal. En outre, elle s’adaptait à la ceinture au moyen d’une agrafe également ciselée en métal. Un siècle plus tard, le cuir pyrogravé entre dans la confection de l’escarcelle. C’est l’Art vénitien qui nous en fournit un petit modèle.

Aumoniere feoni
Aumonière
escarcelle
Escarcelle française

L’essor: la petite maroquinerie & les articles de voyage

La maroquinerie artisanale naît aux alentours de 1835, à l’époque où le porte-monnaie en cuir fait son apparition et connaît un usage fréquent. Le premier « fabricant d’objet de maroquinerie » français serait Simon Schloss. Cette première manufacture parisienne était spécialisée dans les petits accessoires. On y fabriquait des porte-cigarettes, des petites pochettes et des porte-monnaie en cuir rivés sur un fermoir en métal, de fabrication artisanale. On assiste alors à une première industrialisation des techniques maroquinières. Les progrès sont rapides, les industriels mettent au point des outils cuir nécessaires à la fabrication.

En parallèle, l’activité d’articles de voyage comme le sac de voyage, se développe grâce à l’essor des chemins de fer.  Les premiers grands noms ouvrent à Paris. François Goyard reprend la maison Martin-Morel fondée en 1792. Louis Vuitton s’y installe en 1854. La maison anglaise Smythson ouvre ses portes en 1887 à Londres.

Au début du XXe siècle, la maroquinerie artisanale française connaît son premier âge d’or. La fédération française de la maroquinerie actuelle a été créée en 1937. Cependant, une fédération syndicale patronale de la maroquinerie en France (et des industries qui s’y rattachent la gainerie, sellerie, articles de voyage) lui a précédée. Cette fédération a été créée et présidée par Georges Amson à la fin du XIXe siècle. En 1900, à l’initiative de Monsieur Amson, une première école professionnelle de maroquinerie a été créée dans le but de « former des ouvriers et artisans capables de garder à notre pays la première place dans cette industrie ». La vision était déjà posée.

Les premiers ouvrages, regroupant le savoir-faire maroquinier et illustrés d’une vingtaine de « premiers modèles » (dont des bourses, blagues à tabac, portefeuilles, pochettes et autres), sont publiés au début du XXème. À cette période, la maroquinerie est une sous-industrie du cuir. Elle représentait essentiellement les accessoires et les articles de voyage, comme les sacs à dos en cuir, les ceintures, les portefeuilles ou les porte-cartes. Ces objets étaient surnommés « objets de première nécessité ».

sac à main dame XXeme s
Sac début XXème
hermes sellier affiche annee 20
Publicité début XXème Hermès
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Gucci Bamboo

L’ âge d’or: Le sac nouvel accessoire de mode

Le sac à main en cuir pour « Dame » (cf. figure 3) reste un objet qualifié de « fantaisie » jusque dans les années 30. Les modèles sont le plus souvent en cuir avec des finitions naturelles et de couleurs sobres comme le noir ou le fauve. Seule une poignée de marques se distinguent par leur créativité avec leurs collections de sacs colorés et un design plus soigné. Toutefois, les innovations d’Emile Hermès avec la fermeture éclair (cf. figure 4) et la toile enduite monogrammé de Louis Vuitton, déposée en 1905, entretiennent l’intérêt pour les sacs de voyage tels que les sacoches. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir le marché du sac en cuir pour femme émerger et devenir un accessoire de mode incontournable.

Le marché intérieur (France) représentait en 1929, 40 millions de francs et avant la Seconde Guerre mondiale, le marché était descendu à 4 millions de francs en 1937.

Avec le boom économique qui suit l’après-guerre et l’apparition du marketing, les sacs à main deviennent des indispensables de la garde-robe féminine. En 1956, la princesse de Monaco rend célèbre le sac Kelly, créé en 1930.

Chanel sort le sac 2.55 en trois versions :

  • Une version en agneau pour le quotidien,
  • Une version plus chic pour le soir en satin de soie,
  • Une version en Jersey.

Gucci rencontre le succès avec le sac Bamboo (cf. figure 5), créé en 1947. L’actrice Vanessa Redgrave a fait la Une de la presse en portant le Bamboo dans le film Blow up en 1966. Les sacs intemporels voient le jour.

La fabrication de maroquinerie artisanale française heures sombres

Le métier de maroquinier évolue en concomitance avec les innovations textiles et la demande du marché de la mode. Les techniques de tannage se transforment, les modèles offrent un large choix de couleurs vives. C’est à cette même période que les gammes de produits commencent à se segmenter. Chaque atelier de maroquinerie à Paris s’efforce d’apporter des touches d’originalité et de fantaisie à ses créations.

Dans les années 70 apparaît la mode du sportswear. L’industrie s’affranchit du tout cuir et propose des sacs avec de nouvelles matières, comme le PVC. Toutefois, le succès commercial des sacs en synthétique arrive plus tard. L’essor de l’éco-cuir comme le cuir végétal marque également cette époque.

En 1985, Prada lance son It-bag en nylon noir.

Longchamp emboîte le pas et lance en 1993 son sac en nylon Pliage. Les années 90 et 2000 marquent l’essor du Made in China. Cette période de grande consommation remet les accessoires, les portefeuilles et porte-monnaie au goût du jour. Les gammes de produits s’étoffent, offrant toujours plus de choix aux clients.

Beaucoup de fabricants historiques français ferment entre la fin des années 80 et le début des années 2000. Pour offrir une gamme de produit plus abordables, des maisons comme Lamarthe ou Texier décident de délocaliser leur fabrication en Asie. Cette tendance se retrouve dans d’autres industries en France.

En parallèle, les maisons de mode rivalisent de créativité dans leurs collections de sacs. Le 2.55 de chez Chanel, est revisité par Karl Lagarfeld qui a repris la direction artistique en 1983. Le fermoir se transforme en deux “C” entrelacés. Il faut savoir que depuis la création de la marque, plus de 3000 modèles ont été déclinés en matières, couleurs ou encore en tailles différentes (mini sac, large ou medium).

À la fin du XXe siècle, les fabricants de maroquinerie artisanale italiens se sont adaptés aux idées créatives des directeurs artistiques des maisons de Luxe. La plupart des “innovations” proviennent de Toscane : sac cabas en cuir, sac besace, sac cartable, sac à dos, sac fourre-tout, petit sac bandoulière, pochette, sac bowling… L’utilisation de matières alternatives au cuir se diversifie. On crée de nouvelles formes de montage. Les ateliers italiens sont les premiers à bénéficier de ce développement de techniques, bien que l’impulsion créative vienne des maisons de Luxe spécialisées dans la maroquinerie à Paris.

Les Leaders du Luxe relancent l’industrie maroquinerie en France

La crise des « subprimes » a à peine ébranlé le secteur du Luxe. La qualité des produits, le savoir-faire, et l’image du chic à la française, renforcent la légitimité de ce secteur. Chaque fabricant de maroquinerie français fait de son mieux pour redorer l’image de l’artisanat à la française.

Fortes de leur développement retail à l’international, les marques de Luxe ont entrepris une réorganisation de leurs chaînes de production dès 2010. Leurs objectifs étaient de maîtriser toutes les étapes de leur supply chain en interne et de se « réapproprier » le savoir-faire français.   La production continue à être sous-traitée auprès de fabricants historiques français.

En parallèle, on a pu voir Hermès, puis Louis Vuitton, ouvrir leurs propres unités de fabrication aux quatre coins de la France. Les marques lancent leurs propres centres de formation pour transmettre et perpétuer les techniques du métier de maroquinier. La France redécouvre un savoir-faire. Le point sellier est aujourd’hui aussi célèbre que son sac Kelly.

Longchamp décide, à cette même période, de monter en gamme et de se recentrer sur son savoir-faire français. À cette même période, le groupe LVMH réveille une belle endormie, la marque Moynat. Le succès est immédiat dans l’atelier maroquinerie. L’engouement pour le Made in France fait son retour.

L’influence des stratégies des maisons

Ce remodelage de la production fait évoluer les pratiques. On peut différencier la maroquinerie artisanale de quelques types d’atelier de maroquinerie, de la maroquinerie industrielle. La première privilégie les savoir-faire manuels et utilise peu de machines. Aujourd’hui, on pourrait même parler de travail semi-artisanal. Tandis que la seconde met en place des opérations d’automation, ce qui requiert un autre savoir-faire, celui de l’industrialisation.

L’industrie de nos jours

La maroquinerie représente en 2019, 70 % du chiffre d’affaires des maisons de Luxe devant les vêtements et les chaussures. En juillet 2018, les quatre acteurs majeurs du luxe (Chanel, Longchamp, Hermès et Louis Vuitton)  totalisaient près des deux tiers de la production vendue en France.

La crise de la Covid 19 est le premier frein à la croissance fulgurante du secteur du Luxe. Selon les prévisionnels du cabinet de Bain & Company, ce marché devrait retrouver une croissance égale voire supérieure à celle de 2019 en début d’année 2023.

  1. Définition par Jacques Savary des Bruslons auteur du Dictionnaire universel du commerce, publié en 1723, p 62 colonne de droite
  2. Définition par Jacques Savary des Bruslons auteur du Dictionnaire universel du commerce, publié en 1723, p 63 colonne de gauche

Flore L, co fondatrice